À Sidi Madhkour, quelques jours après l’inondation causée par l’ouverture du canal de Oued el Garaa, on peut encore sentir les résidus olfactifs des relents causés par l’eau polluée. Pour rappel, l’eau polluée accumulée à Dar Allouche a été libérée dans le canal suite à la décision de la gouverneure de Nabeul et après proposition du maire de Dar Allouche. Oued el Garaa, réceptacle d’eaux usées provenant des maisons, des usines de transformation des tomates et des pressoirs d’huile d’olive, traverse les deux municipalités de Dar Allouche et de Haouaria. Quant à Sidi Madhkour, il s’agit d’un village à faible densité démographique relevant de la municipalité de Haouaria. L’équipe de Barr Al Aman s’est déplacée le 3 août 2018 afin de saisir les vécu des habitant.es du village.
“Regarde là, l’Oued… et l’autre dit que la maison la plus proche du Oued est à 200 mètres !”
La proximité malveillante du canal
“Regarde là, l’Oued… et l’autre dit que la maison la plus proche du Oued est à 200 mètres !”, dit Kamel, habitant de Sidi Madhkour, en contestant les déclarations de la gouverneure de Nabeul. En effet, les maisons de quelques familles du village, un peu à l’écart de la zone de densité résidentielle, donne directement sur le canal. Le 26 juillet, les habitant.es ont fait les frais de cette proximité vécue comme une épreuve quotidienne. La barrière levée étant à quelques centaines de mètres, la pression des eaux libérées a été forte. Et pour cause : le niveau des eaux polluées qui étaient bloquées à Dar Allouche a augmenté sensiblement avant sa libération dans le canal. Et on attribue cette augmentation à la “Meysra”, la période où la les usines de tomates travaillents à plein régime. L’ouverture de ce cours d’eau a été dévastatrice : l’eau déborde de son cours, inonde la piste reliant le village à la route principale et touche une partie des terres agricoles et des maisons. Mais cet épisode malheureux pour les habitants de cette zone n’est pas anecdotique. A chaque fois que l’eau polluée circule dans le canal, les habitant.es de Sidi Madhkour endurent les relents des déchets qu’elle porte.
D’un autre côté, le quotidien de ces habitant.es isolé.es de Sidi Madhkour est ponctué par cette proximité du Oued el Garaa. Et, plus précisément, ce sont les eaux du canal qui contaminent leur santé et leur bien-être. La qualité de l’eau potable, celle dont ils.elles boivent et prennent leurs douches, serait pour le moins compromise. Les traces des irritations cutanées et des piqûres de moustiques porteurs de microbes pathogènes sont visibles sur la peau. Certains diagnostics médicaux ont montré que les diverses maladies (respiratoires, allergiques, dermatologiques) sont dues au contenu potentiellement toxique de l’eau consommée. En effet, la contamination de la nappe phréatique par les déchets industriels et autres seraient, d’après eux.elles, à l’origine de tous ces problèmes de santé.
Mais l’impact des eaux de Oued el Garaa ne se réduit pas aux corps des habitant.es. Les maisons sont elles aussi menacées par l’écoulement souterrain de l’eau polluée. Certain.es habitant.es ont quitté leur logement à cause de l’état de délabrement avancé des murs. Les fissures parsèment une bonne partie des murs de ces maisons. Certaines pièces ont même été totalement vidées de leurs habitant.es humain.es, et sont désormais habitées par des hirondelles qui virevoltent, un peu comme prises au piège.
Une telle situation génère des frustrations et des colères, mais aussi des revendications, des protestations et des actions collectives.
Contestations, revendications et luttes
“Je ne désarmerai pas, je m’immolerai par le feu comme Bouazizi s’il le faut !”, se révolte une citoyenne de Sidi Madhkour en parlant de la situation de son quartier. Le jour même, le 3 août dernier, une manifestation a été organisée devant le palais de la municipalité de Haouaria à l’instigation de l’UGTT. Scandant des slogans anti-pollution et revendiquant le droit à un environnement sain, les quelques dizaines de manifestant.es se sont solidarisé.es avec leur conseil municipal. Dans le nouveau contexte qui s’installe après les élections municipales, les élu.es de Haouaria ont porté à bras-le-corps les revendications socio-environnementales des citoyen.nes de Sidi Madhkour.
“Je ne désarmerai pas, je m’immolerai par le feu comme Bouazizi s’il le faut !”
A Haouaria, il ne s’agit pas de la première mobilisation anti-pollution. Elle s’inscrit plutôt dans l’histoire d’une lutte intermittente menée par les citoyen.nes de Haouaria. Depuis des années, les habitant.es de Haouaria, et de manière plus spécifique ceux.celles de Sidi madhkour, ont multiplié les revendications à l’égard des autorités centrales. Ces revendications ont survécu à des contextes politiques très contrastés. En 2003 déjà, une lettre a été adressée au secrétaire général du comité de coordination du RCD. Cette lettre portait les revendications des habitant.es de Haouaria concernant le déversement des eaux polluées par les déchets domestiques et industriels sur la plage. Elle soulignait la menace que pose une telle situation à l’égard du tourisme et de l’agriculture. Dans le nouveau contexte post-révolutionnaire, les revendications environnementales des citoyen.nes de Haouaria se sont faites nombreuses. Le 21 Juillet 2011, une lettre adressée au ministre de l’agriculture et de l’environnement évoquait les problèmes de l’évacuation des déchets industriels et domestiques dans le Oued El Garaa.
Les revendications concernaient la mise en place de stations d’épuration dans les usines environnantes de transformation de tomates (SOCODAL, BRIMA, STICAP et COMOCAP) et l’intervention de l’ONAS pour le traitement des eaux domestiques des municipalités de Dar Allouche et d’Azmour. Six ans après, les mêmes préoccupations animaient deux autres lettres, l’une adressée au ministre des affaires locales et l’autre au délégué de Haouaria. En Mars 2017, les citoyen.nes de Sidi Madhkour ont adressé leurs revendications au gouverneur de Nabeul de l’époque, et ce après avoir mené un sit-in devant le siège de la délégation de Haouaria. Leurs revendications ont porté entre autres sur la question des eaux polluées de Oued el Garaa, l’accès à l’eau, les infrastructures et les équipements collectifs. La lutte a fait intervenir plusieurs composantes de la société civile locale. Outre la mobilisation organisée le 3 août par l’Union Générale Tunisienne du Travail, la section de Kélibia de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme s’est aussi prononcée sur la question en Janvier 2018. Dans un communiqué datant du 18 Janvier 2018, la ligue a critiqué la “politique du report” des autorités concernées ainsi que les procès qui ont été intentées à l’encontre des citoyen.nes responsables du blocage du Oued el Garaa au niveau de Sidi Madhkour.
A ce jour, les revendications des citoyen.nes de Haouaria sont toujours d’actualité. L’issue de la lutte dépendre des interactions entre les protestataires, les autorités locales, les autorités centrales, les administrations concernées et les autres parties prenantes du secteur privé. La question est plus que complexe, compte tenu du nouveau contexte imposé par la mise en place des nouvelles collectivités locales. L’articulation des mouvements protestataires à l’action publique de ces nouvelles collectivités est posée à la lumière d’un problème épineux : la gestion des eaux polluées.