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L’amélioration d’une politique publique peut être nourrie par la comparaison des différents contextes, non seulement en remontant le temps, mais aussi en allant ailleurs. En matière de déclaration de patrimoine, Barr al Aman ne s’est pas contentée de se déplacer sur un axe temporel (retour à la loi de 1987), mais s’est aussi investie dans une comparaison dans l’espace (expériences comparées en matière de politique publique relative à la déclaration de patrimoine). Cet article recense trois expériences en matière de déclaration de patrimoine qui concernent 6 pays, qu’on a sciemment choisis parmi 4 continents par souci de diversité : La Pologne, La France, Les Philippines, L’Argentine, La Tanzanie et Ghana.
Il s’agit d’extraits du rapport de Barr Al Aman, disponible sur le lien : https://www.researchmedia.org/fr/rapport-declaration-patrimoine/
Pologne : Est-ce que la publicité des déclarations remet en cause la protection des données personnelles ?
Dans l’affaire Wypych c. Pologne (25 octobre 2005, requête no 2428/05)37, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la plainte d’un membre d’un conseil local polonais. Il refusait de soumettre sa déclaration de patrimoine au motif que l’obligation de divulguer des détails concernant sa situation financière et son portefeuille immobilier imposée par la législation était contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a estimé que l’obligation de soumettre la déclaration et sa publication en ligne constituaient effectivement une ingérence dans le droit à la vie privée, mais qu’elle était justifiée et que la portée des informations à fournir n’était pas excessivement lourde. La Cour « considère que c’est précisément ce caractère exhaustif qui rend réaliste l’hypothèse que les dispositions contestées atteindront leur objectif de donner au public une image raisonnablement exhaustive de la situation financière des conseillers […] que l’obligation additionnelle de fournir des renseignements sur les biens, y compris les biens matrimoniaux, peut être considérée comme raisonnable en ce sens qu’elle vise à décourager les tentatives de dissimuler des biens simplement en les acquérant au nom du conjoint d’un conseiller ».
La Cour européenne des droits de l’homme a également approuvé la publication et l’accès en ligne des déclarations, faisant valoir que « le grand public a un intérêt légitime à s’assurer que les politiques locales sont transparentes et que l’accès en ligne est plus facile et efficace. Sans un tel accès, l’obligation n’aurait aucune importance pratique ou incidence réelle sur la mesure dans laquelle le public est informé du processus politique. »
⇒ Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la publication des déclarations de patrimoine n’entre pas en contradiction avec la protection de la vie privée. De plus, la publication et l’accès par Internet aux déclarations sont nécessaires pour informer le public.
La France : De Cahuzac à Fillon, un scandale à l’origine du changement
La législation en vigueur en France entre 1988 et 2013 est la plus proche de celle qu’on connait la Tunisie (17/1987). Une série de scandales ont prouvé l’inefficacité de cette ancienne loi et l’efficacité des nouvelles mesures mises en place en 2013/2014. En 2013, le ministre français du budget, Jérôme Cahuzac, est éclaboussé par un scandale de grande ampleur : il dispose d’un compte en Suisse non déclaré au fisc français. Un compte avec 600.000 € qui échappent à l’impôt sur le revenu. La Radiotélévision Suisse a même évoqué la possibilité qu’un compte crédité de 15 millions € ait été créé.
Cette affaire advient dans une période où le gouvernement de François Hollande prône l’effort et le sacrifice et où le ministre Cahuzac est chargé de collecter les efforts des contribuables français. Cette affaire a prouvé l’inefficience de la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTVFP). En effet, la CTVFP comparait les déclarations en début et en fin de mandat et, si elle constatait un écart trop important, elle pouvait réclamer des explications et saisir le parquet si elle n’était pas convaincue. Toutefois, les déclarations et les observations de la commission étaient confidentielles. Elles ne pouvaient être rendues publiques qu’à la demande expresse des déclarants ou sur requête des autorités judiciaires40. Autre point, les retards de déclaration étaient très fréquents : 25% des élus régionaux, 9% des élus départementaux et 13% des sénateurs. Aucune sanction n’était prise à leur encontre. Dans 16% des cas, les déclarations n’étaient pas remplies avec suffisamment de soin et les proches des élus n’étaient pas concernés par la déclaration. Par ailleurs, il y a une impunité de fait pour les fraudeurs. Entre 1988 et 2009, la Commission pour la transparence financière n’a transmis que 12 dossiers à la justice. Toutes les affaires ont été classées sans suite. En effet, l’enrichissement inexpliqué ne constitue pas formellement un délit. L’affaire Cahuzac a été le point de départ d’une réforme de cette commission et des procédures de lutte contre les conflits d’intérêts et pour la transparence. L’Assemblée Nationale française a adopté une nouvelle loi relative à la transparence de la vie publique. Elle instaure la création d’une autorité administrative indépendante ayant pour but de gérer les déclarations de patrimoine et les conflits d’intérêts, à savoir la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). En Septembre 2014, un nouveau scandale fiscal impliquant le secrétaire d’Etat au commerce extérieur Thomas Thévenoud a éclaté, obligeant ce-dernier à démissionner 9 jours après sa nomination. Par la suite, une nouvelle loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a été promulguée. Cette loi dispose que les déclarations doivent être publiées sur Internet.
C’est lors de la campagne des présidentielles que cette loi a joué un rôle déterminant. Les déclarations des candidats étant mises à la disposition du public sur le site, des journalistes d’investigation se sont penchés sur celle de François Fillon, candidat à la présidentielle ayant remporté les primaires de la droite et du centre. Leur attention s’est portée sur la case indiquant « la description de l’activité professionnelle de son conjoint ». En cherchant dans les bilans comptables, ils se sont aperçus d’une variation anormale dans la masse salariale durant les années du passage de Mme Fillon. En poussant l’investigation, ils arrivent à la conclusion que son épouse a touché 100.000 euros de la part de la Revue des deux mondes, un magazine dont le patron est un proche de son mari. Le doute s’est immiscé car Le Canard enchaîné trouvé de papiers signés par Pénélope Fillon, pas même avec un pseudonyme. Parallèlement, l’attention des journalistes du Canard s’est focalisée sur l’activité parlementaire de François Fillon particulièrement entre 1998 et 2007, où son épouse a été rémunérée par l’Assemblée Nationale en tant qu’assistante parlementaire. Mme Fillon n’avait pas de badge d’entrée ni de carte à la cantine. C’était un emploi fictif encore une fois44. La suite est connue de tous : François Fillon, candidat victorieux des primaires de la droite et du centre, ne s’est même pas qualifié au deuxième tour des présidentielles.
→Avant 2014 et l’affaire Cahuzac, l’accès aux déclarations était contraignant L’accessibilité des déclarations de patrimoine en ligne améliore l’intégrité de la classe politique et la confiance des citoyens dans leurs élus et facilite le travail d’investigation des journalistes. Cela évite d’avoir des représentants corrompus pouvant nuire à l’Etat et à la collectivité.
Aux Philippines, à quoi sert la publication des déclarations?
Dans le cadre d’une enquête d’investigation, un groupe de journalistes a constaté un grand écart entre le train de vie des employés du bureau des impôts, le BIR, et leur salaire annuel. De plus, ils ont remarqué qu’en 12 ans, 24 demandes en justice ont été opérées par des agents du bureau des impôts pour changer leur date de naissance et retarder ainsi leur retraite. Une enquête a été menée à partir des déclarations de patrimoine publiées, croisées avec les registres d’immatriculation des véhicules, les registres de propriété et les registres commerciaux et des sociétés. Elle a révélé de nombreuses incohérences dans les déclarations et surtout que les agents du BIR ont utilisé des prête-noms pour cacher leurs propriétés. A la suite de ce rapport d’enquête, plusieurs fonctionnaires des agences de recouvrement des impôts ont été contraints de démissionner et ont fait face à des accusations de corruption, tandis que d’autres ont été suspendus.
⇒ Le cas des Philippines n’est pas un cas isolé. Dans plusieurs pays, la publication des déclarations a permis aux journalistes d’investigation de soutenir les efforts de l’Etat dans la lutte contre l’enrichissement illicite. Au-delà des journalistes, les médias, les chercheurs universitaires, la société civile peuvent jouer un rôle important dans la vérification de l’exactitude des déclarations.
Argentine : pour bien contrôler, il faut en avoir les moyens
En Argentine, les déclarations de patrimoine se faisaient sur papier jusqu’en 1999. A partir de l’an 2000, la numérisation des déclarations a été mise en place. Le coût moyen de gestion de chaque déclaration est passé de 67$ à 8$. Le taux des déclarants s’est amélioré également passant de 70% à 98%.
→ La numérisation améliore l’efficacité de l’accès et du contrôle des déclarations. Elle suscite un intérêt des citoyens et journalistes. De plus, cela limite les coûts de gestion pour l’Etat.
Tanzanie : à quoi bon contrôler sans sanctions effectives?
En Tanzanie, les déclarations sont soumises au commissaire responsable de l’éthique. Même s’il a formellement la prérogative de vérifier la véracité des déclarations, la loi ne lui offre pas les moyens légaux d’imposer une punition en cas de violation et/ou non-respect du code éthique.
→ Sans instruments légaux efficace, faire respecter la loi est impossible.
Ghana
Au Ghana, la déclaration est déposée auprès de l’auditeur général et maintenue dans le secret. L’absence de publication entrave la vérification car même l’auditeur général ne dispose pas de l’autorité légale d’accès au contenu des déclarations. Il ne peut pas donc vérifier le contenu.
→L’absence de publication bloque tout contrôle ou d’éventuelles poursuites par des organes étatiques ou par des citoyens.