Comment devenir riche quand on n’a rien ou très peu? Une équation résolue par le conseil municipal de Lessouda, une commune « rond-point » où se croisent les nationales Sfax-Kasserine et Tunis-Gafsa. Cette collectivité de la région de Sidi Bouzid a transformé un terrain vague en un marché de voitures d’occasion. Une formule simple: 5 dinars l’entrée par voiture, une moyenne de 500 voitures exposées par semaine… une recette annuelle potentielle de 130.000 dinars pour cette mairie créée en 2016.
“Dès le premier jour, on a eu 120 voitures exposées. Un exploit. Aujourd’hui, nous en sommes à 500 en moyenne chaque vendredi.”se réjouit Ezzedine Dali, le maire indépendant.
Ouvert en novembre 2018, le marché a été gratuit jusqu’à la fin de l’année. Les usagers en sont ravis, même s’il est payant, les règles sont simples et le tarif bon marché.
Un an après les premières municipales libres en Tunisie, cette « success story » demeure exceptionnelle, tant la décentralisation promise prend de temps sur le terrain. Elle prouve cependant que les leviers de levée de fonds existent, fiscales et non-fiscales, sans nécessairement faire appel aux bailleurs étrangers (cf. ICG).
EL GOLAA
15.000 dt ce sont les revenus des dattes!
Cette municipalité adjacente à Douz (Kebili) a prévu d’encaisser en 2016 un revenu de 15.000 dt grâce à des revenus immobiliers agricoles “مداخيل العقارات المعدّة للأنشطة الفلاحية”, selon le site baladia.marsad.tn. Ces revenus proviennent de la récolte de dattes dans le parc municipal. Le volume est négligeable certes, il ne représente que 1% du budget.
Avant la mise en place de la décentralisation, les conseils municipaux et l’administration étaient plus préoccupés par la “dépense” des budgets alloués que la levée de fonds.
Finances
Comme Lessouda, 85 autres municipalités ont été créées en application de la constitution, il fallait alors que tout le territoire tunisien soit couvert par des municipalités synonymes d’une amélioration de l’aménagement, de l’hygiène ou de l’infrastructure. Le manque de moyens financiers et humains est l’un des plus grands handicaps auxquels sont confrontés les conseils.
« De quelle décentralisation parle-t-on quand on doit encore faire valider son budget par le gouverneur? » a dénoncé un maire affilié à Nida Tounes de Gabes.
Lors de rencontres organisées entre des élus municipaux de Sidi Bouzid, Jendouba, Kairouan, Gabès ou Siliana avec les représentants de la Cour des comptes et du Tribunal Administratif, les participants ont exprimé leurs frustrations de ne pas avoir en main les leviers budgétaires. L’autonomie promise de la gestion n’était pas immédiate.
Rien d’étonnant pourtant: pour cette première année post-élections, il n’y a eu aucun changement sur le plan budgétaire. Le « wali » représentant du pouvoir central de Tunis continue d’exercer ses prérogatives et les conseils municipaux ont dû soumettre leurs budgets démocratiquement votés à ce fonctionnaire nommé par le chef du gouvernement. Ce n’est qu’à partir de 2020 que les budgets seront totalement gérés par les conseils élus. La Haute instance des finances locales, un des piliers de cette autonomie appelée à jouer un rôle considérable dans ce processus vient à peine de voir le jour.
Responsabilités
Une plus grande marge de liberté qui s’accompagne d’une marge d’autant plus grande de responsabilité. Résultat, il arrive d’entendre des maires regretter « le contrôle a priori » des finances exercé par le gouverneur. Et pour cause: ils encourent des peines au pénal. « Le maire peut être poursuivi pénalement s’il passe un marché en sachant que les finances de la mairie ne permettent pas d’honorer cet engagement.» a prévenu Samir Chorfi, président de la chambre régionale de la Cour des comptes de Jendouba.
L’absence d’autonomie financière n’est pas un vice caché, elle était clairement énoncée dans le code des collectivités locales, mais combien de conseillers avaient pris connaissance de ce texte de loi et de ses dispositions transitoires le jour de l’élection voilà un an? Très peu. Adopté à la hâte en pleine campagne électorale, une dizaine de jours avant le vote, les intéressés avaient peu de temps pour en prendre connaissance. Certains élus, particulièrement les non initiés au travail municipal, témoignaient de leur frustration de ne pas pouvoir “gouverner” leur municipalité ni décider librement
L’un des coups de théâtre connu lors du vote en plénière de cette « mini-constitution du pouvoir local » est l’obligation pour les maires de se consacrer à plein-temps à leurs fonctions, contre l’avis de la commission. Une mesure qui oblige à faire un choix.