Ines Ayadi : “ Le système actuel d’assurance maladie est à bout de souffle »

Dans une interview à Barr Al aman, Ines Ayadi, Economiste de la santé et consultante, notamment pour l’Union européenne, nous parle des difficultés que rencontre la CNAM et des éventuelles issues.

On sait que la CNAM est en difficulté financière, comment se fait-il que l’on dise souvent que pour la CNAM les comptes sont bons ?

Ce n’est qu’une écriture comptable. C’est vrai que la CNAM ne reçoit pas d’argent, sauf qu’elle n’en dépense pas: il n’y a pas d’entrées réelles et il n’y  a pas de dépenses réelles.

La CNAM a deux principales activités qui sont complémentaires, à savoir l’assurance maladie et la maladie professionnelle : les entrées de la maladie professionnelle compensent le déficit de l’assurance maladie, donc budgétairement c’est équilibré : ce qui se confirme dans le rapport officiel de la CNAM.  

Pourtant, pour l’assurance maladie : il y a des problèmes, le  principal problème est le manque de liquidité. En réalité,La CNAM n’a pas de recettes propres , ses recettes proviennent des cotisations qui passent , selon le texte de loi, par les caisses sociales : CNSS et CNRPS et qui sont ensuite versées à la CNAM.

Cette loi a été amendée, en ce qui concerne le versement des cotisations, pour la CNSS. Sauf que les entrées d’argent ( nouvelles cotisations) ne peuvent pas encore couvrir les dettes de la CNAM.Ce qui fait qu’on est devant un manque de liquidité.

Le manque de liquidité dont souffre la CNAM est expliqué donc en totalité par les créances qu’a la CNAM envers la CNSS et la CNRPS?

Non, ce n’est que l’un des problèmes expliquant la situation actuelle. Il y a d’autres problèmes qui existaient depuis que la CNAM a été créée mais que l’on ne voyait pas. Même maintenant, on ne les expose pas parce que ce sont des problèmes d’architecture du système de santé. Le système , tel qu’il a été conçu, encourage une médecine à double vitesse. 

Il y a de l’argent qui rentre de la caisse la CNAM qui vient de nous tous, que la CNAM distribue ensuite envers ses assurés et il y a 3 filières  : privée , publique, remboursement. Chaque filière a ses propres règles de gestion et de remboursement.

 Et puisque selon la loi de la nature, c’est le plus fort qui gagne. Le secteur privé étant le plus disponible, a pris le dessus.Même si en pourcentage,  les affiliés de la filière publique restent majoritaires par rapport à ceux du privé, en terme de dépenses, la CNAM dépense plus dans le privé que dans le public.

Les règles du jeu sont différentes, que voulez-vous dire par cela ?

Dans le public , on a choisi un système de conventions qui se négocie chaque année, avec un forfait global qu’on donne aux structures sanitaires publiques ( hors 1ère ligne : pour la 1ère ligne la CNAM offre 85 MD dans le trésor public chaque année, mais on ne sait pas est-ce que c’est vrai ou pas). 

Disons que je suis un hôpital X et mon plafond est fixé à 100 MD, si j’arrive à facturer à 100 MD, je dois continuer à donner des prestations aux affiliés de la CNAM et je ne reçois rien du tout.

 On a créée un forfait plafonné : c’est un forfait qui bloque à l’activité puisqu’on ne peut pas refuser les soins. Par contre , pour le privé , il y a un paiement à l’acte et on a plafone l’assuré. Donc : dans le public tandis que pour le privé on plafonne le prestataire.

Selon les données disponibles* la CNAM semble être le financeur principal des dépenses de santé, avec une part qui est supérieure à celle du Ministère de la Santé et donc du gouvernement…

Si on regarde le schéma de financement des dépenses de santé. On a le Ministère de la santé ( Ex Ministère de la Santé Publique: santé pour tous et non pas secteur public), la CNAM qui relève du Ministère des Affaires sociales et qui fait partie des dépenses publiques et les dépenses des ménages que l’on paie nous directement de nos poches.

 C’est vrai que la CNAM est le principal financeur du secteur de la santé mais elle dépense plus dans le secteur privé que dans le secteur public.

Quant au Ministère de la Santé, il a un rôle de régulateur du système de santé, privé et public, qu’il ne joue malheureusement pas.

Il y a toute un article du texte de loi de réforme de l’assurance maladie , dédiée aux assurances maladie complémentaires : privées et mutuelle , que personne n’a réalisé.

Mais pourquoi, ces assurances complémentaires, prévues par la loi, n’ont elles pas vu le jour?

Je me dis parfois que c’est de notre faute. On a créé des assurances supplémentaires et non pas des assurances complémentaires. Ce qui fait qu’on peut être remboursé doublement pour le même montant , par la CNAM et par son assurance privée. 

L’esprit de l’assurance complémentaire , comme partout dans le monde  est qu’on ne peut pas tout donner à tout le monde. Si quelqu’un veut être plus assuré, il doit payer plus.

Que pensez-vous du pourcentage de cotisation à la CNAM ? 

Le 6.75% de pourcentage de cotisation, n’est pas du tout suffisant. On le savait dès le début. C’était une décision politique. Les estimations étaient à plus à 11% pour pouvoir assurer une assurance maladie de bonne qualité.   On nous avait dit que c’était trop. Le chiffre magique de 6.75 % avait surgi de nul part et c’était accepté.

On est à plus de 10 ans de recul au moins, pourquoi ne pas réviser ce taux ? 

Ce qui est certain, c’est que dans la conjoncture politique actuelle, aucun ne pourrait augmenter les cotisations. Il faut chercher autre chose. Il faut commencer par élargir l’assiette: faire rentrer plus d’assurés et aller vers une réelle réforme de l’assurance maladie. 

Quelle réforme pour l’assurance maladie ? Et comment faire justement pour élargir cette assiette ? 

Il faut arrêter avec ces trois filières. Déjà qu’elles posent un problème de gestion et de gouvernance dans la CNAM. Le système actuel d’assurance maladie est à bout de souffle. C’est un malade en réanimation qu’on est en train de gaver pour survivre. La seule et unique solution, qui est la vision qu’on a au dialogue sociétal: Une filière unique: publique et privée, un seul régime pour tous les tunisiens. Où l’assuré a accès via la médecine de famille comme porte d’entrée vers le système ( 1ere ligne : publique et privée) à un paquet de services bien défini. Vous savez maintenant, on a en théorie en terme de soins, accès à tout. Sauf que réellement, on n’a accès qu’à ce qui est disponible, ce qui peut être rien du tout. 

On a de l’argent, mais on est en train de l’utiliser d’une manière inefficace. ça ne sert à rien de pomper de l’argent dans les hôpitaux. Il faut élargir l’assiette et intégrer la population pauvre et vulnérable qui sont sélectionnés par des cartes et qui sont assurés par le Ministère de la Santé: Intégrer cette population pauvre et vulnérable bénéficiant de l’assistance maladie gratuite dans un seul régime d’assurance maladie. Pas besoin que ces personnes là cotisent, l’état peut cotiser pour eux, comme cela se fait dans certains pays.

La réforme de l’assurance maladie doit obligatoirement être accompagnée d’une réforme organisationnelle du système de santé.

On a fait une réforme du financement du secteur de la santé , on a  dit aux hôpitaux publics, que vous allez être mis à niveau pour être concurrentiels par rapport au privé. Chose que l’on a pas faite , ce qui a permis au privé de grimper. On voit l’effet de migration des assurés de la filière publique à la filière privée. Parce qu’en terme d’accessibilité , d’attractivité, le privé est meilleur.

 La prise en charge des maladies lourdes et chroniques : APCI ( Affections à prise à charge intégrale, coûte énormément à la CNAM. Ne serait-il pas plus judicieux d’investir dans la prévention de ces maladies ?

Oui, bien sûr que ça coûte énormément. Par le texte de la loi , la CNAM est hors du financement de la prévention de la santé. C’est le Ministère de la Santé qui s’en occupe. On a créé des programmes de lutte contre le diabète, l’hypertension artérielle… Mais ceci ne suffit pas, il faut réaliser de la promotion de la santé. Il faut également un 

On entend beaucoup parler de réforme des caisses sociales , qu’est ce qui a déjà été réfléchi ?

Beaucoup de choses ont été réfléchies, mais il faut de la volonté politique.Et dans le contexte actuel, ce n’est pas évident . Un ministre qui part et qui vient, parfois on oublie qu’il est passé.

 

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