La pauvreté en Tunisie : Une réalité alarmante face à l’inflation

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L’inflation frappe durement les ménages tunisiens, creusant les inégalités sociales. Entre 2021 et 2023, les prix des produits alimentaires ont bondi de 7,2 % à 12,3 %, tandis que les salaires stagnent. Cette spirale inflationniste plonge les foyers les plus fragiles dans une précarité grandissante. Face à cette situation préoccupante, le Centre de Recherches et d’Études Sociales (CRES) s’est associé à l’UNICEF pour décrypter l’évolution de la pauvreté dans le pays [1]. En croisant les données de l’Institut National de la Statistique et du registre social AMEN, leur étude dresse un état des lieux précis de la pauvreté et évalue les dispositifs de protection sociale pour les populations les plus démunies.
Notre analyse s’appuie sur ces travaux [2][3] pour mettre en perspective les données sur la pauvreté en Tunisie, afin de mieux appréhender l’ampleur et la complexité de cette réalité.

Comprendre la pauvreté : au-delà des chiffres

La pauvreté est un phénomène complexe qui se mesure de différentes manières, chacune mettant en lumière des aspects variés de cette réalité.

La première approche, la pauvreté relative, se fonde sur le niveau de vie moyen d’une société. Une personne est considérée comme pauvre si son revenu est inférieur à un certain pourcentage du revenu médian, souvent fixé à 60 % dans les pays développés. En Tunisie, ce seuil était de 4 369 DT par personne en 2021, soit environ 364 DT par mois. On observe des écarts significatifs entre les zones urbaines (4 921 DT) et rurales (3 279 DT), ce qui signifie que la moitié de la population dépense moins que ce montant chaque année.

La seconde approche, la pauvreté absolue, se concentre sur la capacité à subvenir aux besoins essentiels tels que l’alimentation, le logement et les soins de santé. En 2021, le seuil national de pauvreté était fixé à 2 536 DT par an, avec des variations selon les régions : 2 683 DT en milieu urbain et 2 224 DT en milieu rural. Cette même année, environ 1,95 million de Tunisiens vivaient sous ce seuil, dont 340 000 en situation d’extrême pauvreté.

Au-delà de ces catégories, il existe une zone grise : celle de la vulnérabilité. Elle concerne les ménages vivant légèrement au-dessus du seuil de pauvreté et qui sont constamment menacés d’y basculer en cas d’imprévu. Selon les critères retenus, entre 4,8 % et 10,2 % de la population tunisienne se trouve dans cette situation précaire.

L’évolution inquiétante de la pauvreté

Le visage de la pauvreté en Tunisie s’assombrit. Après une amélioration notable entre 2010 (20,5 %) et 2015 (15,2 %), la situation s’est progressivement dégradée. Le taux de pauvreté a grimpé à 16,6 % en 2021, avant d’atteindre un préoccupant 18,4 % en 2023. Cette hausse signifie que plus de 2,16 millions de Tunisiens vivent aujourd’hui dans la précarité, dont 388 000 dans l’extrême pauvreté.

L’inflation galopante explique en grande partie cette détérioration. Entre 2021 et 2023, les prix ont augmenté en moyenne de 7,8 % par an, culminant à 9,3 % en 2023. Cette flambée des prix a eu des effets dévastateurs : quatre ménages sur dix qui vivaient tout juste au-dessus du seuil de pauvreté en 2021 ont basculé dans la précarité.

Qui sont les plus touchés par la pauvreté ?

En 2023, la Tunisie fait face à une aggravation des disparités régionales et socio-économiques qui caractérisent la pauvreté dans le pays. Si les grandes tendances de répartition demeurent similaires à 2021, l’écart se creuse davantage, affectant particulièrement les populations déjà vulnérables.

Un phénomène principalement rural

Malgré une concentration de 52 % des personnes pauvres en zone urbaine, la pauvreté frappe plus durement les campagnes. Le milieu rural, qui concentrait déjà 60 % des personnes en situation d’extrême pauvreté en 2021, voit son taux de pauvreté grimper à 27 % en 2023, soit une hausse de 2,4 points. Les zones urbaines connaissent une progression plus modérée, avec un taux atteignant 14 % (+1,5 point).

Des inégalités territoriales croissantes

L’analyse régionale révèle des écarts saisissants. Le Centre-Ouest émerge comme la région la plus défavorisée, avec un taux de pauvreté atteignant 40 % en 2023 (+3 points en deux ans). À l’opposé, le Grand Tunis maintient le taux le plus faible du pays à 5,5 % (+0,8 point). L’écart entre ces deux régions s’est considérablement accentué : de quatre fois supérieur en 2010, le taux de pauvreté du Centre-Ouest est devenu huit fois plus élevé que celui du Grand Tunis en 2021. Le Nord-Ouest et le Sud-Est présentent également des taux préoccupants. Ces disparités se manifestent aussi dans la qualité du logement, l’accès aux services publics et la possession de biens durables, comme le révèle l’Indice Composite de Bien-Être Non Monétaire (ICBE) de l’ITCEQ.

Le profil des ménages vulnérables

La taille et la composition des ménages constituent des facteurs clés dans leur vulnérabilité face à la pauvreté. L’analyse des données de 2023 révèle une corrélation directe entre le nombre de membres d’un foyer et son risque de basculer dans la précarité. Ainsi, si les ménages de taille moyenne (trois à quatre personnes) connaissent un taux de pauvreté relativement modéré de 10,5 % (+1,1 point), la situation s’aggrave significativement pour les familles plus nombreuses. Les foyers de cinq à six personnes sont plus durement touchés, avec un taux atteignant 26,7 % (+2,8 points).

Le statut professionnel du chef de ménage apparaît comme un autre déterminant majeur. L’absence d’emploi constitue le facteur de risque le plus important, avec un taux de pauvreté alarmant de 44,9 % (+3,6 points) pour les foyers concernés. Au sein de la population active, une hiérarchie de la précarité se dessine : les ouvriers, qu’ils soient du secteur non agricole (27,2 %, +3 points) ou agricole (25,2 %, +2,4 points), subissent une détérioration plus marquée de leur situation que les autres catégories professionnelles, ces dernières enregistrant une hausse plus modérée d’environ 1,5 point. Par ailleurs, la dimension genrée de la pauvreté se manifeste clairement : les ménages à dominante féminine affichent une vulnérabilité supérieure, avec un taux de pauvreté de 19,6 %, soit près de 5 points de plus que les autres foyers (14,9 %).

La situation des enfants face à la pauvreté

En Tunisie, les enfants constituent une population particulièrement vulnérable face à la pauvreté. Représentant 27,2 % de la population totale avec 3,2 millions d’individus de moins de 18 ans (INS), ils sont exposés à un risque de précarité nettement supérieur à la moyenne nationale. Le taux de pauvreté infantile, déjà préoccupant en 2021 avec 26 % (soit 826 300 enfants sous le seuil de pauvreté), s’est encore détérioré en 2023 pour atteindre 28,4 %. Cette augmentation signifie que près de 79 000 enfants supplémentaires ont basculé dans la précarité. Plus alarmant encore, le nombre d’enfants en situation d’extrême pauvreté est passé de 163 000 à 184 000 en seulement deux ans.

Cette vulnérabilité s’inscrit dans un schéma plus large de disparités régionales et socio-démographiques, perpétuant un cycle de transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Les zones rurales et la région du Centre-Ouest concentrent les taux les plus élevés de pauvreté infantile, tandis que les enfants issus de familles dont le chef est au chômage ou sans instruction font face à des risques accrus.

L’écart entre zones rurales et urbaines s’est sensiblement creusé entre 2021 et 2023. Dans les zones rurales, le taux de pauvreté infantile a bondi de 36 % à 39 %, alors que les zones urbaines ont connu une progression plus modérée, passant de 20 % à 22 %.

Conclusion

Ces données alarmantes révèlent l’ampleur croissante de la précarité en Tunisie et ses profondes ramifications sociales. Le renforcement des dispositifs de protection sociale et la mise en place de mesures spécifiques pour les familles vulnérables apparaissent comme des impératifs pour briser le cycle de la précarité et garantir à chaque enfant des conditions de vie dignes.

References

[1] https://www.unicef.org/tunisia/agenda-de-recherche-sur-la-pauvrete-et-la-protection-sociale
[2] « Profil et déterminants de la pauvreté en Tunisie en 2022 » publié par le CRES et le l’UNICEF. https://www.unicef.org/tunisia/media/7851/file
[3] « L’impact de l’inflation sur les familles vulnérables et leurs enfants » publié par le CRES et le l’UNICEF.  https://www.unicef.org/tunisia/media/7861/file

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