La décentralisation: “un investissement direct étranger”?

Dans la municipalité Skhira, le dialogue positif est un lointain mirage: on y trouve des élus municipaux certes, mais pas de maire. Une délégation, sans délégué. Une municipalité qui compte sur l’administration et fonctionne à l’ancienne. Ici, tout est validé par le gouverneur. 

26 juin 2018, la séance inaugurale du conseil municipal est un fiasco. Elle ne sera jamais réellement levée… C’est la première et dernière fois que le conseil s’est réuni, à peine le temps de prêter serment. Après un premier tour, les deux candidats arrivés en tête ont obtenu le même nombre de voix. Que faire? Le CCL s’est prononcé en faveur du plus jeune. C’est la tête de la liste indépendante Al Amal qui a hérité du mandat de président. Une issue contestée. La présence d’un représentant du gouverneur de Sfax, d’un émissaire du tribunal de première instance n’y change rien.

Toutes les décisions relatives à la municipalité de Skhira, c’est la justice qui les prononcera. Un an plus tard, elle a beau tranché, la situation est toujours au statu quo. A chaque fois que le maire-élu tentait de prendre ses fonctions, une manifestation de quelques centaines de personnes se tenait devant la municipalité. “La loi est au-dessus de tous mais son application est impossible. On ne va pas installer un poste de police dans la mairie pour appliquer les décisions du tribunal.” lance un fonctionnaire au sein de la municipalité qui a souhaité garder son anonymat. “Si les élections avaient à nouveau lieu, on serait face au même problème. Cette municipalité est ingouvernable dans sa configuration actuelle,” ajoute-t-il.

 

Découpage à à la hâte, à la hache…

Pour comprendre cette anomalie démocratique et judiciaire, il faut remonter aux découpage municipal. Skhira fait partie de ces municipalités “élargies”, elle ne comportait qu’un seul secteur urbain. 6 autres secteurs ruraux y ont été intégrés avec au moins 3 groupes tribaux (عروش). Cette “ville-port-zone industrielle” est un condensé des défis auxquels sont confrontés les municipalités.

 

Ce maire n’est pas d’ici, c’est un outsider (برّاني), il est rentré de l’étranger après la révolution,” lance une autre. “Un étranger” à la municipalité telle qu’elle a été connue dans ses anciennes limites, c’est un étranger aussi du point de vue de son groupe tribal, mais aussi étranger car c’est un rural qui commande aux urbains… un affront (?). De son côté, le maire-élu nie, sans surprise, les tensions entre groupes tribaux comme grille de lecture et de résolution de ce conflit. 

 

Le plus étonnant est qu’au lendemain des élections, il n’y a eu aucun recours ni contestation des résultats des élections, les tensions ne sont apparues que le jour de la prise de fonction. “Les citoyens votent pour quelqu’un afin qu’il servent leurs intérêts”, explique un acteur de la région. En d’autres termes, les citoyens d’une communauté donnée votent pour un des leurs afin qu’il serve sa communauté en priorité. Les municipalités ont beau être créées par décret, le sentiment d’appartenance à ces collectivités locales peine à se décréter.  

 

“La décentralisation a été imposée du haut.” martèle un fonctionnaire de la mairie.

Comment peut-on redessiner les frontières d’une municipalité sans consulter la population, Il faut du temps et des moyens, assène-t-il. “Quand un père éduque ses enfants sur le modèle autoritaire et les réprime,” alors “il ne faut pas s’étonner que la loi de la force prime sur la force de la loi,” estime-t-il.

Le découpage électoral décidé dans les bureaux de Tunis a ravivé un paradigme latent d’appartenance. C’est en mai 2016 que le conseil des ministres qui a dépoussiéré des lignes de faille que l’Etat bourguibiste post-indépendance a nié, combattu ou instrumentalisé. A peine le texte publié, des tensions se sont manifestées: pourquoi inclure telle “région”? Où devrait-être placé le siège de la municipalité? Pourquoi cette mairie a été partagée, réduite, créée, intégrée…? Les élections municipales n’ont fait que jouer le rôle de révélateur des tensions politiques, tribales, familiales, centre/périphérie, rurale/urbaine, arabe/( جبايلي) “berbère”, etc.  

 

Un an après les premières élections, le découpage municipal est -encore- au coeur des débats dans certaines communes, un an après les élections, le gouvernement continue de rectifier les limites entre les municipalités par décret, là où la constitution estime que c’est au législateur de trancher et que sur le terrain, ce sont les citoyens qui revendiquent leur droit à la parole.

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