Mot d’ouverture :
Monika Hencsey, Chef d’Unité DG Commerce à la Commission Européenne et responsable des négociations ALECA
La responsable des négociations ALECA a commencé par expliquer que l’Union Européenne est le premier partenaire commercial de la Tunisie, et que les échanges commerciaux entre les deux parties ont été encouragés depuis la signature de l’accord d’association qui a supprimé les droits de douane sur les produits industriels et une partie des produits agricoles. Grâce à cet accord, les exportations des biens de la Tunisie se sont triplées ce qui fait que la balance commerciale entre l’UE et la Tunisie est stable, a-t-elle ajouté. Le déficit commercial tunisien concerne, selon elle, les autres partenaires. Pour ce qui est des échanges sur les services, la négociatrice européenne a noté que la balance se penche en faveur de la Tunisie.
Avant l’accord d’association, l’exportation se limitait au textile, alors que maintenant elle est de plus en plus diversifiée et orientée vers l’électronique, les fibres électriques, les composants des locomotives, l’aéronautique, etc., ce qui montre que la Tunisie a monté dans les chaînes de valeur.
Qu’est- ce qu’on négocie dans le cadre de l’ALECA ?
L’ALECA se focalise sur l’accès aux marchés dans les secteurs non couverts pas l’accord d’association notamment en matière de services, investissements, marchés publics. Cet accès doit se faire dans les règles de transparence.
D’après Monika Hencsey, l’union européenne favorise le développement économique et social de la Tunisie et s’intéresse à la réussite sa transition politique et économique, bien qu’elle représente le 34ème partenaire commercial de l’UE.
Elle explique par ailleurs que L’UE préconise une démarche asymétrique et progressive des négociations en faveur de la Tunisie, pour faciliter son accès au marché européen. Des mesures ont été prises à cet égard à l’instar du démantèlement tarifaire. Elle en déduit ainsi que les marchés tunisiens doivent faciliter l’accès des produits européens, et que l’Etat doit soutenir des réformes en termes d’ouverture économique, d’amélioration du climat des affaires et du développement durable.
Les services concernés par l’accord du libre échange complet et approfondi sont : les services bancaires, distribution, logistique, ingénierie, comptabilité, services juridiques, les technologies de l’information et de la communication.
La responsable des négociations a expliqué que la Tunisie a montré un excellent potentiel réel et un espoir en termes de sa capacité d’exportation grâce à sa main d’œuvre qualifiée, sa proximité géographique et culturelle, ses liens commerciaux déjà établis et ses communautés qui maitrisent le français. L’apport de l’ALECA est principalement la contribution à ces échanges, l’établissement d’un environnement commercial stable et transparent propice aux investissements créateurs d’emploi dans le secteur des TIC pour les jeunes en particuliers.
Elle a clôturé son mot d’ouverture par appeler les négociateurs à ne pas tarder le travail technique qui demande du temps et de l’expertise et à entamer le quatrième cycle de négociation en avril 2019.
Fatma Oueslati, présidence du gouvernement
La négociatrice de la partie tunisienne, Fatma Oueslati de la présidence du gouvernement explique que l’ALECA s’inscrit dans une vision globale qui représente un instrument juridique et un nouveau cadre politique de coopération bilatérale et s’insère dans la continuité des accords précédents entre les universités, les fédérations, les centres de formation mais aussi l’adhésion aux agences européennes de financement des programmes recherche, la mobilité et la facilitation des visas, etc.
L’ALECA s’inscrit dans la même logique d’ancrage de cette coopération entre l’UE et la Tunisie. Il vise à mise en place un espace économique commun qui favorise la libre circulation des marchandises et des biens mais aussi la libre circulation des personnes.
Pour ce qui est de la mobilité des personnes, la négociatrice nationale explique qu’il s’agit actuellement d’un protocole de mobilité qui facilite les formalités d’obtention des visas. Ce protocole peut évoluer pour atteindre la libre circulation des personnes, et a cité le cas de Géorgie comme exemple de cette conversion.
Qu’est ce qu’on cherche avec l’ALECA ?
Fatma Oueslati enchaîne et montre que l’ALECA va ajuster et corriger les défaillances des accords déjà conclus et élargir les relations commerciales avec les autres pays de l’UE. Elle exige la mise à niveau du secteur sanitaire et phytosanitaire et l’harmonisation de la réglementation nationale avec celle européenne pour toucher les pays nordiques membres de l’UE connus pas leur respect aux standards dans les aspects sanitaires et phytosanitaires. Pour ce faire, il faut dégager les défaillances des accords précédents, identifier le niveau de rapprochement réglementaire et avoir des plans d’action avec des visions claires sur le coût et l’impact sur entreprises et filières.
De même, l’ALECA contribuera à l’intégration et l’amélioration de la participation du marché tunisien dans les chaines de valeur mondiales à travers les services qui contribuent de 19% de la valeur ajoutée des exportations dans le secteur manufacturier.
Elle a noté également que la Tunisie est très restrictive au niveau des services malgré son attractivité par rapport au Maroc et la Jordanie, et appelle à améliorer les indices de réceptivité pour augmenter les exportations dans le secteur manufacturier.
La négociatrice nationale a expliqué aussi L’ALECA va permettre à l’Etat tunisien de renforcer sa participation dans les chaines de valeurs mondiales et de le mieux intégrer mieux dans le continent africain et dans l’espace euro méditerranéen. Toutefois, la Tunisie a pris des engagements dans les services dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dans 3 secteurs uniquement, alors que le Marco et la Jordanie sont plus ouverts (7 secteurs pour le Maroc, 11 pour la Jordanie).
Hammadi Kooli, vice- président de l’UTICA
Le vice- président de l’UTICA a précisé que le partenariat privilégié a été lancé en 1995 avec la signature de l’accord d’association pour permettre la libération de l’échange des produits industriels et la mise en œuvre des programmes d’appui et d’accompagnement pour mettre à niveau l’industrie en faveur des entreprises tunisiennes, mais aussi l’administration au niveau matériel et immatériel.
Il ajoute que la négociation et la conclusion de l’ALECA est une opportunité pour la Tunisie pour accéder à un marché de 500 millions d’habitants, tout en modernisant les entreprises et accélérer les réformes nécessaires.
Pour ce faire, l’intervenant insiste qu’il y ait des préalables importants :
- Etudes d’impact nécessaire pour les secteurs concernés par l’ALECA
- Définition des besoins de convergence réglementaire et des réformes à mettre en place
- Etude des besoins de mise à niveau des entreprises de chaque secteur et les investissements nécessaires.
- Le nombre de domaines et de volets touchés par l’ALECA et l’organisation des workshops pour professionnels des différents secteurs
Hammadi Kooli estime par ailleurs qu’il ne pourrait avoir libération des services sans La mobilité des experts et des compétences et que la libéralisation des services pourrait être une chance pour drainer les investissements dans l’économie de savoir et de maintenir nos compétences en Tunisie pour éviter la fuite de cerveaux.
Présentation des panels :
- Panel 1 : les grandes lignes pour la définition des préalables
- Panel 2 : le règlement des conflits en matière d’investissements
- Panel 3 : mobilité des services et des personnes
Panel 1 : Les services animé par le négociateur de l’UE pour le chapitre services et Mohsen Trabelsi, président de la fédération nationale des services de l’UTICA
Première intervention : négociateur de l’UE pour le chapitre services
Lors de son intervention, le négociateur européen insiste sur l’amélioration du climat des investissements et du commerce entre l’UE et la Tunisie, la transparence des procédures pour les fournisseurs de services et les investisseurs et la sécurité juridique.
Il a remis en question par conséquent l’intention de l’accord du libre échange de démunir l’Etat de ses compétences de réglementer l’économie. Le gouvernement détient toujours sa capacité de réglementer pour l’intérêt public, a-t-il précisé.
Il ajoute également que l’accord n’oblige pas à privatiser les biens essentiels et n’oblige pas aussi à mettre au service des intérêts éco les capacités productives et naturelles du pays.
En vue d’assurer la transparence et la sécurité juridique, le négociateur européen a identifié quelques principes qui sont respectivement :
- Le principe d’accès aux marchés
- Le principe de non- discrimination: le traitement égal des investisseurs et des fournisseurs de services nationaux et étrangers. Il évoque dans ce contexte la mise à disposition des investisseurs une application qui sert à identifier le climat d’investissement pour chacune des deux parties et de détecter les injustices et les discriminations qui pourraient avoir lieu.
- Le principe de convergence réglementaire: ce n’est pas la cohésion législative qui est exigée mais plutôt certains critères de bonne administration qui empêchent certains abus et qui permettent à chaque partie de décider comment appliquer les règles (principe de l’indépendance de l’administration, de l’accès à la justice, séparation des organismes de régulation et de prise de décision…)
- Le principe d’accès à certains services : l’accès à la communication, aux services postaux, aux services maritimes, un accès moderne non arbitraire et protégé des aléas politiques
Mohsen Trabelsi, président de la fédération nationale des services de l’UTICA
L’intervenant a précisé que l’UTICA est contre cet accord, à condition qu’il y ait des conditions et des mesures préventives pour l’appliquer et pour aider les entreprises fournissant des services à se mettre à niveau, ce qui nécessite du temps mais aussi de l’argent.
A cet égard, l’ALECA prévoit un délai de 15 années pour la mise à niveau de ces entreprises. Mais est- ce qu’il a prévu un budget pour ce faire ? S’est-il interrogé.
Mohsen Trabelsi a évoqué aussi la question de la mobilité au niveau des visas puis la facilitation de la libre circulation des personnes en disant : « les Européens viennent chez nous avec leurs cartes d’identité, alors que les Tunisiens font la queue pendant des semaines pour avoir des visas de 15 jours dans un pays européen ». Il appelle ainsi à un traitement égal et équilibré entre les deux parties.
Il appelle également à négocier les clauses de l’ALECA avec prudence pour ne pas créer du chômage en Tunisie.
Débat 00.58.16-
Bassem Boulila, trésorier national de la compagnie de comptables en Tunisie a posé une question par rapport aux mesures prévues dans l’ALECA dans la réglementation des ordres professionnels
Taoufik Halila, président de la chambre des intégrateurs des réseaux télécoms s’est interrogé sur la compétence de la partie tunisienne dans les négociations sur l’ALECA et la disposition de l’UE à développer l’infrastructure tunisienne dans le cadre de cet accord.
Il a ajouté qu’aucun document sur les négociations sectorielles n’a été soumis à la chambre des intégrateurs des réseaux télécoms.
Fao Ben Abdallah, président de la fédération national du transport a insisté sur la nécessité de la réforme de l’administration et de la législation qui représente selon lui « un frein pour le commerce maritime » qui assure 97% des échanges commerciaux.
Imed Ammar, membre du bureau exécutif de l’UTICA a insisté pour sa part sur la garantie de la libre circulation de services dans le cadre de la réciprocité entre la Tunisie et l’UE.
Nahla Ben Slimane, présidente de la chambre de la gestion des déchets a posé une question par rapport au traitement des déchets et le développement des technologies dans ce sens dans le cadre de l’ALECA.
Interaction des panélistes (à partir de : 1.12.37)
Fatma Oueslati a expliqué que les négociations se font dans le cadre de groupes thématiques présidés par des chefs, une commission nationale et des départements transversaux comme le ministère de la justice et le ministère affaires étrangères.
Elle précise que les négociateurs et les groupes thématiques ont préparé uniquement des propositions sectorielles et un tableau de bord réglementaire pour chaque secteur.
Mohsen Trabelsi de l’UTICA a rebondi sur ce que venait d’avancer la négociatrice tunisienne et appelle à faire participer les organisations nationales dans les rounds de négociations en lui disant « Sachez que n’allez pas pouvoir applaudir toute seule ».
Le négociatrice européenne a indiqué quant à elle que l’UE a prévu des mesures d’accompagnement et a doublé son aide financier pour la Tunisie et qu’elle en reçoit plus que ses voisins euro-méditerranéens. Elle ajoute que la Tunisie a reçu 300 millions d’euros en 2017 dans le cadre d’un programme d’appui à la compétitivité et de la mise à niveau de l’agriculture, de l’industrie et des services.
Pour ce qui est des fonds structurels, elle a précisé que seuls les pays membres ou en voie d’addition à l’UE en bénéficient et ajoute : « A ma connaissance vous n’avez pas demandé d’être membre à l’UE. »
Le négociateur européen est revenu sur la question des ordres et précise qu’ils sont réglementés par le droit national.
Il ajoute que l’ALECA n’est pas le premier accord qui se négocie entre l’UE et un pays « de votre niveau de développement », et que les craintes manifestées devraient avoir lieu après la conclusion de l’accord et non pas avant. Il estime que l’ALECA est une « opportunité » pour la Tunisie.
Panel 2 : L’action marché et la protection des investissements (à partir de1.30.32)
(Les prénoms et la qualité des intervenants n’ont pas été mentionnés)
1.30.49- 1.43.50 Guillaume
Le premier panéliste (Guillaume …) insiste que l’objet de l’ALECE est d’établir un rapport gagnant- gagnant entre l’UE et la Tunisie en fournissant de la croissance et de l’emploi en faveur de la Tunisie, tout en remplaçant les accords bilatéraux précédents.
Il explique que la protection de l’investissement consiste à donner de la sécurité aux investisseurs et de leur permettre d’avoir un cadre sur lequel ils peuvent se reposer.
Il précise qu’il s’agit d’un accord de protection des investissements en dehors de l’ALECA mais qui se négocient parallèlement en vue de créer un climat favorable pour l’investissement et identifier des règles plus claires en termes de clarification des conditions d’indemnisation dans les cas d’expropriation, le développement de la jurisprudence en matière d’arbitrage d’investissement, etc.
L’ALECA cherche à offrir un cadre stable et non contraignant qui s’approche plus d’un tribunal international d’investissement et qui s’éloigne de la logique d’arbitrage traditionnel. Ce tribunal établira la possibilité aux Etats de récupérer la main dans certains cas pas très fréquents mais en cas d’abus.
Nefaa Neifer : 1.44.02- 1.51.43
L’intervenant estime que les craintes manifestées face à l’ALECA sont légitimes notamment pour les agriculteurs qui s’inquiètent face au coût de reconversion de leurs terres.
Il revient sur la loi sur l’investissement entrée en vigueur en avril 2017 qui a garanti plusieurs privilèges dont :
- la liberté d’investissement
- la liberté de transfert des fonds à l’étranger
- le libre accès à la propriété foncière pour les activités autres qu’agricoles
- la liberté d’employer des cadres étrangers et l’égalité de leur traitement
- la protection contre les risques non financiers (l’expropriation en l’occurrence)
- garantie de la propriété industrielle et intellectuelle.
Il a expliqué par la suite que l’Etat tunisien a fait beaucoup de concessions à l’instar de l’abandon de l’exonération de l’impôt sur les sociétés exportatrices ainsi que les décisions prises dans la loi de finance pour l’année 2019.
Débat (1.52.01)
Olfa Ferchichi, Info Juridique s’est interrogée sur le choix de la Tunisie et le timing des négociations sur les aspects de l’ALECA.
Sana Skhiri, présidente de la chambre syndicale nationale des transitaires aériens de l’UTICA a critiqué les lois en place et l’absence d’un cadre juridique qui réglemente leur profession.
Un autre intervenant a insisté sur l’acceptation du libre échange en matière d’huile d’olive et de textile avec le marché européen et le traitement égal avec les autres pays membres.
Une autre question a été posée par rapport au tribunal international d’investissements et son impact sur la souveraineté et l’indépendance des décisions de la Tunisie.
Toujours dans le cadre d’interactions de la salle, un intervenant s’est interrogé sur juridictions arbitrales qui vont être installées et les modalités de rémunération des fonctionnaires et des juges des tribunaux de première instance et les cours d’appel.
Le président de la chambre syndicale des entreprises de sécurité a adressé une question aux négociateurs européens par rapport à la suspension de la sous-traitance dans le secteur public et semi- étatique et la création de trois entreprises étatiques de nettoyage et de jardinage, et l’incitation des sociétés étatiques à résilier leurs contrats avec les entreprises privées pour s’orienter vers celles étatiques.
Interactions (2.04.18)
Les panélistes ont réagi aux questions et commentaires de l’audience en valorisant les réformes établis en matière d’investissement en Tunisie notamment avec la loi sur l’investissement. Ils précisent que l’objet de l’ALECA n’est pas d’intervenir dans la législation nationale de la Tunisie mais d’apporter des engagements qui la reflètent.
Pour ce qui est du tribunal international d’investissements, les panélistes précisent que l’accord de libre échange prévoit l’ajout de la possibilité d’appel qui n’existe pas dans les instances arbitrales en place, ce qui représente une amélioration importante. C’est une perspective plus générale de réforme dans la quelle s’inscrit l’UE avec l’émergence d’un futur tribunal international de l’investissement qui n’est pas directement lié aux négociations et qui remplace le mécanisme bilatéral.
La négociatrice tunisienne Fatma Oueslati a ajouté que l’ALECA permettra à la Tunisie de faire une analyse exhaustive des différentes législations régissant chaque secteur et d’en ressortir failles.
Elle confirme le « déficit législatif » dont souffre la Tunisie et estime que c’est un problème qui peut être réglé au niveau interne et qui doit être négocié avec les ministères de tutelle.